JEAN-PIERRE LASOTA-HIRSZOWICZ (1942-2024)
Photographie de Jean-Pierre Lasota-Hirszowicz, prise le 26 mars 2001 dans la bibilothèque de l'IAP.Crédit : Jean Mouette
Jean-Pierre Lasota-Hirszowicz, né le 16 octobre 1942 à Marseille, est décédé à Paris le 31 octobre 2024, à l'âge de 82 ans. Il vivait à Paris, Oxford et Varsovie avec son épouse Agnieszka Kołakowska.
Jean-Pierre a été un immense chercheur, aimé et respecté de tous. Sa carrière scientifique est multiple et exemplaire. Très jeune, il partit de France pour la Pologne où il suivit de brillantes études. Au début des années quatre-vingt, il arriva à Paris à l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP) accueilli par le directeur d’alors, Jean Audouze. Il avait déjà une solide réputation de chercheur de haut niveau. En 1998, après avoir été directeur du DARC (Département d'Astrophysique Relativiste et de Cosmologie) à l’Observatoire de Paris-Meudon, Jean-Pierre est revenu pour notre plus grande joie à l’IAP où il était jusqu’à son décès directeur de recherche émérite au CNRS, et cela depuis 2009. Jean-Pierre était un homme de culture. Il connaissait l’histoire contemporaine dans son intimité, ayant vécu par lui-même des épisodes marquants. Il aimait aussi la littérature. Il affectionnait Yasmina Reza, spécialement pour son ton si particulier. Il était en train de lire l’ensemble de l’œuvre de Patrick Modiano dont il disait que c’était son écrivain français préféré. Jean-Pierre était un véritable homme du siècle des Lumières, « un honnête homme » tel que défini au XVIIIe siècle, c’est-à-dire un homme du monde, accompli, d'un esprit cultivé et qui mettait une exigence intellectuelle dans tout ce qu’il entreprenait. Jean-Pierre était avant tout un homme libre : « Liberté, je chéris ton nom » pourrait être sa devise.
La carrière de Jean-Pierre
En 1965, Jean-Pierre a soutenu sa thèse de maîtrise à la Faculté de physique de l'Université de Varsovie. Il a ensuite soutenu sa thèse de doctorat portant sur la relativité en 1971 à l’Institut de physique théorique de l’Université de Varsovie. Il a d’abord travaillé au Centre Nicolas Copernic de l’Académie polonaise des Sciences dont il a été directeur adjoint pendant trois ans puis, à partir de 1980, il a passé trois ans en Angleterre à Leicester et Cambridge avant d’être recruté par le CNRS en 1983. Il est accueilli au DARC (Département d'Astrophysique Relativiste et de Cosmologie) de l’Observatoire de Paris-Meudon dont il devient le directeur de 1988 à 1998.
Alain Fontaine, Jean-Pierre Lasota-Hirszowicz, Denis Burgarella et Francis Bernardeau, le 29 avril 2014, dans l'amphithéâtre de l'IAP.Crédit : Jean Mouette
Jean-Pierre était un spécialiste mondialement connu de l'accrétion sur les objets compacts (naines blanches, étoiles à neutrons, trous noirs), ses travaux sur le sujet ayant été salués par le grand prix Félix Robin 2012 de la Société française de physique.
Pour que l’accrétion se produise, il faut que la matière forme un disque permettant son écoulement progressif vers l'objet central. Si cette idée de disque d'accrétion est bien admise, les mécanismes physiques se déroulant au sein des disques restent l'objet de fortes controverses. Celles-ci devenues encore plus vives depuis que les observatoires spatiaux à haute énergie, X et gamma, posent de nouvelles contraintes sur les modèles.
Dans ce domaine très difficile sur le plan théorique, Jean-Pierre a réalisé des percées remarquables. Il est en particulier l'inventeur des disques refroidis par advection. Le succès de ce modèle a été tel que le nom proposé par Jean-Pierre, « ADAF » (pour Advection Dominated Accretion Flow) est maintenant rentré dans le vocabulaire courant de l’astrophysique des hautes énergies. Ce modèle de disque pourrait s’appliquer au trou noir central de notre Galaxie, dont la faible émission en rayons X et gamma est difficilement explicable par les modèles plus conventionnels.
Allant au-delà des modèles ADAF, Jean-Pierre et ses collaborateurs ont entrepris une révision globale de la physique décrivant les éruptions dans les systèmes binaires émettant en rayons X. Ces travaux ont fait l'objet d'une revue, qui est devenue l’un des classiques du domaine. Il faut aussi noter plusieurs résultats remarquables sur l’évolution des systèmes binaires en relativité générale, dont la découverte de l'effet Abramowicz-Lasota où la force centrifuge « se retourne » et modifie les caractéristiques des orbites autour d'un trou noir.
Parmi les autres résultats majeurs obtenus par Jean-Pierre, il faut noter son travail de 1988 sur les « slim accretion disks » autour des trous noirs (près de 1500 citations avec, de manière remarquable, un taux de citations augmentant régulièrement au cours du temps) qui a mis en évidence l’existence d’un nouveau régime d’accrétion proche de la limite d’Eddington et conduisant à des flashes quasi périodiques dans le disque.
Sur la physique des noyaux actifs de galaxies, Jean-Pierre a contribué en 2007 à un article élucidant la manière dont la luminosité radio dépend du taux d’accrétion ainsi que de la masse et du spin du trou noir central. Là encore, cet article précurseur reste très cité et continue de susciter de nombreux développements.
Les activités de Jean-Pierre ont été très nombreuses au sein de l’INSU et au sein de l’Union européenne : en tant qu’expert évaluateur de propositions scientifiques pour de nombreux organismes de financement (notamment CNRS, ministère français de la recherche, Commission européenne (Marie Curie) mais aussi pour la Fondation polonaise pour la science, Fondation nationale pour la recherche d'Afrique du Sud, Fondation autrichienne pour la science, Nordita, etc. Il a également été rédacteur en chef du Journal of Instrumentation (2011-2017). Il a été referee dans de nombreux journaux professionnels comme Acta Astronomica, A&A, ApJ, Classical Quantum Gravity, MNRAS, Nature et Science.
Jean-Pierre fut membre du Comité national de la recherche scientifique (1991-1995). Il a été aussi conseiller scientifique du Président-Directeur du CNRS (2002-2012).
Jean-Pierre a été enfin un acteur majeur de la naissance de ce que l’on appelle maintenant l’astroparticule, à cheval entre l’astrophysique, la physique théorique, la physique nucléaire et des particules. Président du programme interdisciplinaire « Astroparticules » du CNRS (2004-2008) qui a développé cette thématique, chargé de mission auprès du directeur de l’INSU pendant dix ans, Jean-Pierre avait réalisé très tôt l’impact majeur qu’aurait la détection des ondes gravitationnelles et soutenu avec force et conviction le projet Virgo au sein de son comité de pilotage.
C’est ainsi que plus récemment, à la suite des premières détections d’ondes gravitationnelles par LIGO/Virgo, Jean-Pierre a contribué à la compréhension des mécanismes de formation des binaires de trous noirs en calculant l’évolution d’un système serré d’étoiles massives, impliquant deux épisodes de transfert de masse entre les composantes.
Investi aussi dans la diffusion des connaissances tant en France qu’en Pologne, il a notamment publié deux ouvrages à destination du grand public sur ses thèmes de prédilection : « La Science des trous noirs » et « Les Ondes gravitationnelles » (avec Nathalie Deruelle).
Au cours des années, Jean-Pierre a établi de nombreuses collaborations scientifiques avec des collègues qui sont souvent devenus des amis : pour n’en citer que quelques-uns, Andrew King en Angleterre, qui fut son premier collaborateur dès 1975 ; Marek Abramowicz et Marek Sikora en Pologne ; Jean Heyvaerts, Sylvano Bonazzola et Jean-Marie Hameury dans les premiers temps suivant son arrivée en France puis Kristen Menou et Guillaume Dubus.
En venant en France, Jean-Pierre a eu une forte influence sur notre communauté, par son rayonnement scientifique et son implication dans l’organisation et l’administration de la recherche. Sa disparition brutale* laisse un grand vide.
* son dernier article, en collaboration avec Marek Abramowicz, a été déposé sur ArXiv le 8 octobre 2024 (https://arxiv.org/abs/2410.06200).
Témoignages
Patrick Peter (directeur de l'Institut d'astrophysique de Paris - CNRS & Sorbonne Université) : Ma première rencontre avec Jean-Pierre Lasota, était quand je suis arrivé à l’observatoire de Meudon pour y faire ma thèse ; il était alors le directeur du Département d’Astrophysique Relativiste et de Cosmologie (DARC), où il m’avait accueilli avec bienveillance. Il a été pour moi l’exemple du « directeur » respecté, et d'une autorité incontestable. Ce n’est qu'en endossant soi-même ce genre de responsabilité qu’on comprend la qualité de son engagement, surtout en continuant des recherches au plus haut niveau.
Jean-Pierre était une figure incontournable et une référence, respecté aussi bien scientifiquement qu’humainement. Il nous manquera, mais c’est une fierté que d’avoir pu être, à mon tour, son directeur. J’espère en avoir été digne.
Bernard Fort (ancien directeur de l'Institut d'astrophysique de Paris - CNRS & Sorbonne Université) : La disparition de Jean-Pierre, ce collègue que nous estimions tant, est une perte personnelle. Si j'essaie aujourd'hui de le revoir du regard intérieur, ce sont les traits d'une image affirmée mais étrangement fraternelle que je vois se dessiner au delà du grand scientifique. Quand je passais le voir dans son bureau je retrouvais à chaque fois des sentiments amicaux qui m'inondaient alors même qu'il m'assenait ses arguments ou moquait mes états d'âmes. Il me vient à l'esprit ce jour où au comble de l'enthousiasme il me parla du mur de feu situé à l'horizon des trous noirs et de la perte d'informations qui en résulte. Ce fut un des bons moments d'échange d'idées sur de grands questionnements de l'astrophysique sans jamais croire aux vérités définitives des théories scientifiques, comme de toute doctrine ou idéologie.
La communion d'esprit pouvait être recherchée avec Jean-Pierre et la perte que nous ressentons en est à la mesure. Jean-Pierre nous manquera mais son souvenir restera vivant en nous.
Nathalie Deruelle (ancienne directrice du DARC et du GReCO) : Le monde scientifique a perdu en Jean-Pierre un grand astrophysicien. De ceux qui voient loin, et juste. De ceux qui ne collaborent qu'avec des amis de la même trempe, à l'esprit clair et sans concession. De ceux qui n'hésitent pas à donner des coups de pied dans la fourmilière des médiocres. De ceux qui ne craignent pas d'avoir des opinions tranchées, qui forcent à la réflexion, voire à remettre en question des systèmes établis de pensée ou de gouvernance.
Mais il était plus que cela encore. Sa culture était immense. Grand amateur de musique, féru de littérature, connaissant aussi bien que beaucoup d'historiens chevronnés les dictatures nazie et communiste, ardent et intransigeant défenseur du droit à Israël à exister, il tenait en haleine ses interlocuteurs, et parfois les prenait de court, en particulier lors de diners mémorables chez lui, en duo avec son épouse Agnès Kolakowska qui, avec la même hauteur de vue, lui donnait la réplique.
J'ai eu la très grande chance de compter parmi ses amis. Il restera, pour moi et beaucoup d'autres, un modèle de droiture intellectuelle et morale.
Jean-Marie Hameury (Directeur de recherche émérite CNRS à l'observatoire astronomique de Strasbourg) : Je connaissais Jean-Pierre depuis plus de 40 ans. Dès son arrivée en France, nous avons travaillé ensemble, d’abord sur les sursauts gamma, puis sur les binaires compactes ; cette collaboration s’est avérée durable et très fructueuse. Je lui dois énormément. Il a été mon mentor au sortir de ma thèse, alors que j’étais encore en post-doc. Je me souviens en particulier de longues discussions à la cafétéria de Meudon qui permettaient de débroussailler un problème ardu (ou de parler de choses et d'autres). Elles m'ont manqué lorsque je suis parti à Strasbourg. C’était un physicien remarquable qui avait le souci de s’appuyer d’abord sur les observations pour bâtir des modèles qui devaient ensuite être validés par de nouvelles observations. Après une thèse et des premiers travaux en relativité générale, il avait choisi de traiter des problèmes plus astrophysiques ; il avait la capacité précieuse d’identifier des sujets porteurs auxquels il pouvait contribuer de façon efficace. C’est d’ailleurs le même parcours qu’ont suivi ses premiers collaborateurs (et amis), Andrew King et Marek Abramowicz.
Jean-Pierre connaissait très bien le monde des physiciens, et il était reconnu par cette communauté comme un des leurs. Le laboratoire de l’Observatoire de Paris qu’il a dirigé pendant dix ans, le DARC, relevait d’ailleurs de la section de physique théorique. Il a été l’une des chevilles ouvrières de la construction de Virgo et plus généralement de la construction de la communauté astroparticules en tant que chargé de mission au CNRS ; son expérience m’a été très précieuse lorsque j’ai eu à interagir avec l’IN2P3 et le département de physique sur ces questions alors que j’étais directeur-adjoint scientifique de l’INSU. Sa vision claire des enjeux et des raisons profondes du positionnement de divers acteurs ont puissamment aidé à aplanir les difficultés inhérentes au rapprochement de communautés ayant des traditions et des pratiques différentes et bien ancrées.
Notre relation de travail s’est très vite transformée en amitié. Jean-Pierre était un homme entier, aux convictions affirmées, mais avec qui il était toujours possible de discuter tant qu’on avait de bons arguments à faire valoir, et acceptait dans ces conditions les divergences. Il avait par contre peu de sympathie pour la médiocrité (et ce dans tous les domaines), et une aversion profonde pour la mauvaise foi.
Il me manquera énormément.
Jean Audouze (ancien directeur de l'Institut d'astrophysique de Paris - CNRS & Sorbonne Université) : Nous nous rencontrâmes pour la première fois aux Houches en juillet-août 1966 car nous étions tous deux étudiants à l'Ecole de Physique Théorique consacrée cette année là aux « hautes énergies en astrophysique ». Philippe Véron (1939-2014) et Evry Schatzman (1920-2010) étaient les directeurs de cette session à laquelle Suzy Collin-Zahn, James Lequeux et Michel Maurette participaient, comme l'astrophysicien Jim Hartle. Nous avions des cours de Kip Thorne (prix Nobel de Physique 2017), Al Cameron l'un des pères de l'astrophysique nucléaire, John Wheeler, un astrophysicien théoricien de Princeton, ancien élève d'Einstein ou encore Engelbert Schücking, professeur de physique théorique à NYU. Nous avions alors partagé un premier petit chalet qui brûla car nous nous étions servis d'une cheminée très vétuste puis un autre hébergement à la suite de cet incendie qui n'eut comme conséquence fâcheuse que la destruction de ce dit chalet.
Jean-Pierre retourna alors au Centre d'Astronomie Nicolas Copernic de Varsovie. Nous n'avons pas perdu le contact alors car, au cours des années 1970, nous passions l'un et l'autre la plupart de nos étés à l'Institut d'Astronomie de Cambridge dirigé d'abord par Fred Hoyle puis par Martin Rees. Au début des années 1980, Jean-Pierre qui avait la double nationalité polonaise et française décida de venir travailler et vivre en France, d'abord une brève période à l'IAP puis ensuite à Meudon au DARC dont il fut le directeur. Il revint en 1998 à l'IAP en tant que directeur de recherche. Trois ouvrages dont il est l'auteur ou le co-auteur ont été publiés : 1 - « Étoiles et matière interstellaire » de James Lequeux, Claude Bertout, Jean-Pierre Lasota, Nikos Prantzos et Jean-Paul Zahn en 2009 aux Editions Ellipse - 2 - « La science des trous noirs » de Jean-Pierre Lasota aux éditions Odile Jacob en 2010 et 3 - « Les ondes gravitationnelles » de Nathalie Deruelle et Jean-Pierre Lasota, également aux éditions Odile Jacob en 2018.
Jean-Pierre fut donc un de mes premiers amis dans notre discipline, à la fois très chaleureux et très pince sans rire. Que son épouse Agnès trouve ici le témoignage de ma sympathie très attristée.
Suzy Zahn (astrophysicienne à l’observatoire de Paris) : Comme Jean Audouze, j’ai connu Jean-Pierre Lasota pendant l’École des Houches de 1966. Il a ensuite été recruté au CNRS en 1983, et il est venu à l’Observatoire de Paris-Meudon, où il a occupé pendant plusieurs années le poste de directeur du Département d’Astrophysique Relativiste (DARC), avant d’émigrer à l’IAP avec plusieurs chercheurs de son laboratoire.
J’ai eu la chance de travailler avec lui, et c’est lui qui m’a initiée aux disques d’accrétion sur lesquels il donnait des cours extrêmement clairs. Nous avons en particulier écrit un article de revue concernant les disques dans les noyaux de galaxies et les quasars.
Jean-Pierre était remarquablement intelligent et cultivé, en science comme en art. Il était d’une grande honnêteté intellectuelle, ne supportait pas la médiocrité, et il s’est attiré ainsi des inimitiés dont il n’avait cure. Les discussions avec lui étaient parfois houleuses, mais toujours très enrichissantes, et suscitaient la réflexion.
Guillaume Dubus (Directeur de recherche CNRS à l'Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (IPAG) : Jean-Pierre m’a toujours impressionné par sa faculté unique à être toujours informé des dernières avancées dans son domaine. Il avait un regard original et profondément réfléchi sur celles-ci, avec un don particulier pour identifier les aspects les plus controversés, les expliquer de manière simple et à exprimer ses opinions avec clarté. Jean-Pierre n’hésitait jamais à prendre position, quel que soit le public, avec une assurance qui surprenait parfois. Cependant, il avait aussi cette qualité d'accepter, sans hésitation, quand quelque chose ou quelqu'un l'avait convaincu de changer d’avis. J’ai toujours admiré son équilibre entre sens critique et ouverture d’esprit, sa capacité à poser un débat. Je pense que Jean-Pierre a ainsi contribué à la science d'une manière encore plus vaste que par ses travaux personnels, pourtant considérables. Ce don d'analyse s'illustrait merveilleusement dans sa capacité à confronter les modèles aux observations. En cela, son influence sur moi a été considérable. Jean-Pierre a été bien plus qu’un directeur de thèse : nos discussions passionnées, ses questions incisives et exigeantes sur un sujet puis un autre, m’ont profondément marqué et laisseront un vide immense. Je garde l’image d’un Jean-Pierre resté actif, pleinement engagé et passionné jusqu’à ce que la maladie l’emporte soudainement.
Didier Barret (Directeur de recherche au CNRS, Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP) : Jean-Pierre Lasota a joué un rôle clé au début de ma carrière par son mentorat, son amitié et son soutien indéfectible. Je l'admirais en tant que scientifique et en tant que personne. Il a été une véritable source d'inspiration pour moi par la manière dont il a mené ses recherches, en suivant souvent sa propre voie, à l'écart du courant principal. Cela a fait de lui l'un des scientifiques les plus productifs du domaine, à l'origine de publications très importantes qui lui survivront longtemps. Je me souviendrai également de lui comme d'un chercheur passionné, toujours enthousiasmé par la dernière découverte, et parfois critique à l'égard de telle ou telle interprétation. La science progresse grâce à des personnalités brillantes et fortes comme Jean-Pierre, et j'ai eu la chance de l'avoir près de moi, tout en développant ma propre carrière. Comment ne pas mentionner ce coup de téléphone particulier qu'il m'a donné pour m'annoncer avec fierté et bonheur que le comité dont il faisait partie avait décidé de m'offrir un poste permanent au CNRS : cela a évidemment changé le reste de ma vie, et sans son soutien, cela ne serait jamais arrivé. Le petit Toulousain, comme il m'appelait souvent à l'époque, te regrette déjà Jean-Pierre, sache que je t'aime beaucoup. Toutes mes condoléances à sa famille, ses amis et ses collègues.
Andrew King (Professeur d'astrophysique au Department of Physics and Astronomy at the University of Leicester) : Jean-Pierre a été mon ami et mon collaborateur scientifique pendant cinquante ans.
Nous nous sommes rencontrés pour la première fois à l'Institut de physique théorique de Hambourg, où j'étais postdoc et où il venait de Varsovie. Nous avons immédiatement réalisé que nos intérêts scientifiques se chevauchaient fortement et, surtout, que nous partagions le même sens de l'humour. Nous avons commencé à travailler ensemble, d'abord sur des problèmes de relativité générale, puis en astrophysique. Nous nous sommes très vite rendu compte que nous avions des intérêts similaires dans de nombreux domaines : la musique, l'art, la littérature et bien d'autres encore. Le dur labeur était donc toujours allégé par des plaisanteries constantes.
Je lui ai rendu visite à Varsovie, et je me souviens tout particulièrement que nous avons regardé mon très jeune fils essayer de ramper sur le sol de la maison d'hôtes de l'Académie des sciences, et découvrir que l'effet réfléchissant du sol rendait impossible toute progression dans quelque direction que ce soit. Lors d'une visite ultérieure au Royaume-Uni, où j'occupais alors un poste permanent, la loi martiale a été annoncée en Pologne. Jean-Pierre m'a immédiatement dit qu'il ne reviendrait pas dans ces conditions, et il a commencé à occuper des postes temporaires dans divers endroits, ce qui l'a finalement conduit à Meudon et à l'IAP. J'ai eu la chance de lui rendre visite régulièrement et de faire la connaissance de nombreux scientifiques de haut niveau dans ces deux endroits, de faire de la science ensemble et d'assouvir nos intérêts communs pour la musique, la bonne cuisine et le vin. Des années de pression douce de ma part l'ont progressivement amené à revenir sur sa vision entièrement négative de Richard Wagner, et nous avons assisté à des représentations lors de trois saisons différentes du festival de Bayreuth, revenant à chaque fois imprégnés de la glorieuse musique, mais désespérés par les distorsions de la « Regieoper ».
Au fil des décennies, nous avons été l'un pour l'autre le collaborateur scientifique le plus prolifique, publiant ensemble près de cinquante articles soumis à un comité de lecture. Comme tout scientifique le sait, les moments où l'on a l'impression de penser à quelque chose de vraiment nouveau sont extrêmement rares et généralement illusoires. Il y a quelques années, nous avons eu une confirmation observationnelle tout à fait inattendue - après plus de vingt ans - d'un tel moment possible. Jusqu'à présent, il n'a pas été réfuté. Quelques semaines plus tard, l'Univers réel nous a obligés à offrir soudainement une application spectaculaire de ce que nous avions deviné. Cela nous a permis de confirmer une idée différente et beaucoup plus ancienne, à la satisfaction de son auteur.
Comme l'a dit quelqu'un, la science progresse par essais et erreurs, c'est donc à nous de continuer à faire des erreurs. Pour moi, rien ne remplacera ce que j'ai vécu avec Jean-Pierre. Il me manque terriblement, mais je m'estime extrêmement chanceux de l'avoir connu pendant cinquante ans.
David Buckley (Honorary Research Associate, South African Astronomical Observatory (SAAO) : Je connaissais Jean-Pierre depuis plus de 35 ans, depuis l'époque où j'étais post-doctorant à l'université du Cap, où lui et Agnieszka ont passé une année sabbatique. Notre intérêt mutuel pour les étoiles variables cataclysmiques, en particulier les systèmes magnétiques, a donné lieu à de longues discussions qui m'ont permis d'acquérir de nouvelles connaissances sur leur évolution. Mais il disposait d'un éventail beaucoup plus large de connaissances et d'idées astronomiques, ce qui lui a permis de faire des découvertes importantes qui ont eu un impact significatif sur le domaine plus vaste de l'accrétion dans les binaires compactes. Nous sommes devenus de solides amis, et nous avons toujours eu plaisir à nous retrouver après des années lors de conférences ou lorsque je me trouvais à Paris au moment où il y était, parfois avec ma famille, ce qui donnait généralement lieu à des aventures gastronomiques avec lui et Agnieszka.
Il manquera cruellement à beaucoup d'entre nous, en tant que scientifique et collaborateur brillant, et en tant que bon ami, qui a toujours soutenu et encouragé ses collègues, y compris de nombreux chercheurs en début de carrière, qui ont tous beaucoup appris à ses côtés.
Jean-Philippe Uzan (Directeur de recherche CNRS à l'Institut d'astrophysique de Paris) : Jean-Pierre, notre première interaction au DARC en 1996 avait été un peu rude alors que je commençais juste ma thèse. Bien sûr j’étais jeune et peu sûr et surtout il me fallut du temps pour comprendre toute la palette de
ton humour. Avec un peu de temps, nous sommes devenus amis, voisins de bureau du DARC à l’IAP. Que de débats matinaux, scientifiques et surtout politiques, où nous pouvions conclure que nous étions d’acord de ne pas être d’accord. Mais il fallait une argumentation serrée car tu ne lâchais jamais l’affaire, toujours sans concession. Surtout merci pour ces souvenirs de diners amicaux avec Agnès, Nathalie, Élisabeth et même mon fiston Yakov, qui lui aussi t’envoie ses pensées depuis la Scandinavie où il étudie. Merci pour tous ces moments et pour ton soutien pendant ces années. L’astrophysique, l’institut mais surtout tes amis ressentent un grand vide. Je ressens un grand vide. Merci Jean-Pierre.
Marek Abramowicz (Professor Emeritus, Göteborg University) : Jean-Pierre avait un sens de l'humour incroyablement original. Il ne se prenait pas au sérieux et lorsqu'il plaisantait sur mes petits malheurs, il savait toujours que j'allais adorer ses moqueries. Voici un exemple dont je me souviens avec beaucoup de tendresse.
Je travaillais sur mon ordinateur lorsque j'ai soudain reçu un courriel d'une personne inconnue (probablement un étudiant) me posant une question détaillée sur la théorie des disques d'accrétion autour des trous noirs.
La question était importante, fondamentale et je n'en connaissais pas la réponse. J'ai immédiatement envoyé un courriel à Jean-Pierre, lui demandant s'il connaissait la réponse. Sa réponse, depuis Paris, est arrivée instantanément : « Tu es fou, Marek ? Toi et moi avons résolu ce problème dans notre article commun avec ton assistant Xingming Chen en 1997 ».
Bien sûr ! J'ai pensé et je me suis immédiatement souvenu de tous les détails, en envoyant le message suivant par courrier électronique : « Merci, Jean-Pierre, tu as raison. J'avais oublié ».
Ce à quoi Jean-Pierre a répondu : « Non, tu n'as pas oublié. Tu n'as jamais lu ce papier ! ».
Alain Omont (ancien directeur de l'Institut d'astrophysique de Paris - CNRS & Sorbonne Université) : La disparition si brutale, en pleine activité, de Jean-Pierre, immense chercheur et ami, a été un violent choc pour moi.
Bien qu'il n'ait pas fait partie de l'IAP à l'époque où j'en étais le directeur et que nous n'ayons jamais collaboré scientifiquement directement, nous avons constamment interagi depuis près de trente cinq ans, et cela s'est transformé au fil des ans en profonde amitié.
J'avais un immense respect pour son oeuvre et sa rigueur scientifique. Il a largement contribué au renouveau du secteur théorique de l'IAP avec l'arrivée de ses jeunes collègues du DARC.
Je lui dois une aide précieuse quand nous avons organisé dans les années 1990 une étroite collaboration avec l'Institut Copernic de Varsovie.
Un peu plus tard il m'a fait participer pendant quelques années au conseil scientifique de VIRGO, m'introduisant à ce qui est devenu un secteur clé de l'astrophysique.
J'ai le coeur serré en pensant aux dîners chaleureux qu'il organisait avec Agnieszka, nous faisant partager tout un cercle d'amis.
Crédit : DR
Prix obtenus par Jean-Pierre Lasota-Hirszowicz
Grand Prix Félix Robin de la Société française de Physique (2012) pour l'ensemble de son activité scientifique.
Conférence commémorative Rosenblum à l'Institut de physique Racah, Université hébraïque, Jérusalem (2003).
Membre d'un Comité Consultatif International du R.F. Prix Kennedy des droits de l'homme (1985-2000).
Diffusion des connaissances (non exhaustifs)
1980 : « La théorie de la relativité », co-auteur : Andrzej Szymacha, Wydawnictwa Szkolne i Pedagogiczne, série « Bibliothèque de Delta », ISBN 83-02-00476-6.
1999 : Unmasking black holes, Scientific American, 280, n° 5, p. 40
2010 : « La Science des trous noirs », éd. Odile Jacob, Paris, ISBN 978-2-7381-2008-3.
2011 : « L'astronomie aux frontières de la science », Springer, ISBN 978-94-007-1657-5.
2013 : La présentation (PDF) du séminaire qu'il a donné à l'IAP le 8 février 2013 : Black holes spin
2017 : « Le Big Bang était-il bruyant ? », co-auteur : Karolina Głowacka, Varsovie : Prószyński i S-ka, ISBN 978-83-8097-127-1.
2019 : « Ondes gravitationnelles. Une nouvelle ère de l'astrophysique », co-auteur : Nathalie Deruelle, Varsovie : Prószyński i S-ka, ISBN 978-83-8169-151-2
2020 : « Problèmes avec Eureka : de quoi se disputent les physiciens ? » Kłopoty z Eureką. O co kłócą się fizycy?, co-auteur : Karolina Głowacka, Cracovie : Copernicus Center Press, ISBN 978-83-7886-493-6.
2022 : « La route vers les trous noirs » Droga do czarnych dziur, Copernicus Center Press, ISBN 978-83-7886629-9.
La vidéo d'une conférence de Jean-Pierre Lasota-Hirszowicz sur les trous noirs (filmée en 2005 par le CERIMES dans le cadre d'un cycle de conférences publiques à l'occasion du centenaire de la relativité) :
https://www.canal-u.tv/chaines/cerimes/les-trous-noirs
La vidéo d'une conférence de Jean-Pierre Lasota-Hirszowicz sur les trous noirs (filmée par le CERIMES en 2009) :
http://www.canal-u.tv/video/cerimes/les_trous_noirs_01_12_2009.9533
La présentation en vidéo de son ouvrage « La Science des trous noirs » publié chez Odile Jacob en 2010 : http://www.youtube.com/watch?v=Iyr1ohC1TxI
Rédaction : Élisabeth Vangioni, Robert Mochkovitch
Mise en page : Jean Mouette
Novembre 2024