DENIS WERTH, LUCAS PINOL ET SÉBASTIEN RENAUX-PETEL RÉCOMPENSÉS PAR LE PRIX BUCHALTER DE COSMOLOGIE 2023
Denis Werth, Lucas Pinol et Sébastien Renaux-Petel ont remporté le deuxième Prix Buchalter de Cosmologie 2023 pour leurs travaux en cosmologie et le développement d’un cadre théorique pour étudier la physique de l’Univers primordial. C’est la première fois qu’une équipe française est récompensée par ce prix. Le jury a reconnu que la méthode novatrice qu’ils ont développée permet de déterminer les conséquences observationnelles de toute théorie de l’Univers primordial. Elle introduit ainsi un cadre théorique unique pour interpréter sans biais les données des futurs relevés cosmologiques, c’est-à-dire de la répartition de la matière à grande échelle dans l’Univers, et pour tester les théories de l’inflation.
Figure 1 : Denis Werth, Lucas Pinol, Sébastien Renaux-Petel.L’équipe est constituée de Denis Werth, doctorant à l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP, CNRS et Sorbonne Université), de Lucas Pinol, chercheur post-doctoral au Laboratoire de Physique de l'École Normale Supérieure (ENS, Université Paris Sciences & Lettres, CNRS, Sorbonne Université, Université Paris Cité), et ancien doctorant à l’IAP, et de Sébastien Renaux-Petel, chargé de recherche du CNRS, professeur chargé de cours à l’École polytechnique, et récipiendaire en 2017 d’une bourse du conseil européen de la recherche pour mener le projet « Conséquences théoriques et observationnelles de la déstabilisation géométrique de l’inflation » (en anglais « Theoretical and observational consequences of the Geometrical Destabilization of Inflation », GEODESI), dans le cadre duquel les recherches récompensées furent développées.
Figure 2 : Schéma illustrant différents aspects du flot cosmologique. Les corrélateurs cosmologiques sont représentés par les paires et triplets de points de couleur (rouge ou bleu). L’approche du flot cosmologique consiste à suivre leur évolution temporelle, depuis une époque reculée de l’inflation représentée par le cercle gris clair externe, jusqu’à la fin de l’inflation représentée par la sphère grise (la durée extrêmement courte de l’inflation est volontairement exagérée sur cette figure). Les fluctuations de densité primordiales qui sont décrites par ces corrélateurs évoluent ensuite de manière connue pour structurer la distribution de matière dans l’Univers jeune puis actuel (environ 13,7 milliards d’années après l’inflation). Ainsi, les différentes observations cosmologiques dans l’Univers nous informent sur ces corrélateurs primordiaux : les observations du rayonnement de fond cosmologique émis 378 000 ans après la fin de l’inflation (cet intervalle de temps n’étant pas représenté dans le schéma) qui sont représentées par la couche externe de la sphère (en carte de densité allant du bleu au rouge), puis les observations de la distribution de la matière à des époques reculées représentée par la couche épaisse de la sphère (extraite d’une simulation numérique des structures à grande échelle), enfin les observations de la distribution des galaxies plus récentes situées dans le cœur de la sphère. La prochaine génération de relevés cosmologiques sondera les traces laissées dans le ciel par les corrélateurs primordiaux avec une sensibilité accrue, offrant aux cosmologistes la possibilité de tester les théories physiques avancées pour décrire la phase d’inflation.
Crédits : D. Werth, L. Pinol, S. Renaux-Petel.
Dans leur travail, les auteurs ont démontré l’efficacité d’une nouvelle méthode pour prédire les propriétés des fluctuations de densité primordiales. Ces inhomogénéités ont été créées pendant une phase d’expansion accélérée extrêmement brève de l’Univers appelée l’inflation cosmologique (sa durée n’est pas connue précisément mais son ordre de grandeur est de 10-35 seconde). Ces inhomogénéités se sont ensuite effondrées (c'est-à-dire contractées) sous l’effet de la gravité pour former les galaxies et l’Univers tel que nous le connaissons. Notre connaissance de ces diverses inhomogénéités ne peut être que statistique, elle est contenue dans ce qu’on appelle les « corrélateurs cosmologiques ». Ce sont des mesures statistiques caractérisant la distribution du champ de sources que l'on étudie, que ce soit les inhomogénéités primordiales ou la distribution des galaxies à grande échelle. Ces mesures indiquent par exemple quel est en moyenne (sur tout le volume étudié) l'excès de sources à différentes distances d'une autre source par rapport au nombre attendu pour une distribution homogène (appelé « fonction de corrélation à deux points »). On peut aussi examiner l’excès de sources à différentes distances de paires de sources (« fonction de corrélation à trois points »).
Ainsi, les corrélateurs cosmologiques décrivent la structure des inhomogénéités dans l’Univers, et permettent de relier les observations de ces dernières aux théories de l'Univers primordial. À priori, les corrélateurs peuvent être calculés pour toute théorie à partir des principes premiers de la physique, mais en pratique, plusieurs difficultés ont toujours empêché cela, créant un biais entre les théories et les prédictions théoriques. Les auteurs ont été les pionniers du développement du « flot cosmologique », un cadre conceptuel et technique qui résout ces problèmes et permet le calcul systématique des corrélateurs cosmologiques, c’est-à-dire un processus entièrement automatisé qui peut résoudre toutes les théories de l’inflation par une méthode générale. Précédemment, ce calcul était réputé pour être complexe et dépendant du modèle étudié. La méthode du « flot cosmologique » suit leur évolution temporelle depuis leur origine sous la forme de fluctuations quantiques du vide[1] jusqu’à la fin de l’inflation, offrant une compréhension approfondie des processus physiques en jeu pendant cette phase de l’Univers primordial.
Cette avancée permet à la communauté scientifique d’explorer de nouveaux processus en physique des hautes énergies, c’est-à-dire à des énergies bien supérieures à celles atteignables dans des expériences terrestres (par exemple dans le Grand Collisionneur de Hadrons). Pendant la phase d’inflation, des particules extrêmement massives ont été produites et leur désintégration ultérieure en particules plus légères a laissé des empreintes dans la répartition des inhomogénéités primordiales. Ainsi, les corrélateurs cosmologiques détiennent la clé d’un régime physique complètement inexploré, car ils permettent la détection de nouvelles particules, et la caractérisation de leurs propriétés et de leurs interactions. Toute cette information nous aiderait à établir un « modèle standard de l’inflation cosmologique ». De manière similaire à ce que les algorithmes de calculs ont apporté à la physique des particules, la méthode du flot cosmologique permet de déduire les signatures observationnelles de théories d’inflation complexes, comme l'a montré l’équipe dans un article compagnon[2] de l'article primé[3]. De nombreuses données sont attendues des grands relevés cosmologiques comme le télescope spatial Euclid ou encore le télescope au sol Vera Rubin. Dans ce contexte, le flot cosmologique permet de générer les données théoriques assurant l’interprétation sans biais de ces observations. Pour progresser plus rapidement dans cette direction, en plus de la publication du formalisme de la méthode du flot cosmologique, les auteurs de l’étude ont rendu publique leur suite de programmes informatiques.
Le Prix Buchalter de Cosmologie est une récompense annuelle visant à stimuler des travaux théoriques, observationnels ou expérimentaux novateurs en cosmologie ayant le potentiel de produire des percées scientifiques quant à notre compréhension de l’origine, de la structure et de l’évolution de l’univers. Il a été créé pour susciter le développement de nouvelles théories, observations ou méthodes susceptibles d’éclairer le mystère de l’expansion cosmique à partir des premiers principes physiques. Annoncé lors de la réunion annuelle de la Société Américaine d’Astronomie, le deuxième prix reçu par l’équipe est doté de 5 000 dollars américains.
Note
[1] Changement temporaire du niveau d'énergie à un point de l'espace, qui conduit à la création spontanée de particules.
Références
[2] Article compagnon : D. Werth, L. Pinol, S. Renaux-Petel, 2024, « The Cosmological flow: a systematic approach to primordial correlators » (en anglais).
[3] Article primé : D. Werth, L. Pinol, S. Renaux-Petel, 2024, « Cosmological flow of primordial correlators » (en anglais).
Lien
Actualité du CNRS dans la thématique Terre & Univers, catégorie « Prix et distinction », le 17 janvier 2024 : « Denis Werth, Lucas Pinol et Sébastien Renaux-Petel remportent le Prix Buchalter de Cosmologie 2023 »
Rédaction et contacts
- Lucas Pinol
Laboratoire de Physique de l'École Normale Supérieure, Université Paris Sciences & Lettres, CNRS, Sorbonne Université, Université Paris Cité
lucas [point] pinol [à] phys [point] ens [point] fr - Sébastien Renaux-Petel
Institut d’astrophysique de Paris, CNRS, Sorbonne Université
renaux [à] iap [point] fr - Denis Werth
Institut d’astrophysique de Paris, CNRS, Sorbonne Université
denis [point] werth [à] iap [point] fr
Rédaction web : Valérie de Lapparent
Mise en page : Jean Mouette
Février 2024