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LES VISAGES CHANGEANTS DES GALAXIES : LEURS MORPHOLOGIES NOUS RACONTENT LEUR ÉVOLUTION AU COURS DU TEMPS COSMIQUE

Les grandes classes morphologiques de galaxies fascinent les astronomes depuis leur découverte. Une nouvelle analyse menée par un doctorant (Sorbonne Université) et une chercheuse de l’IAP établit un lien physique entre l’ordre des différents types de la fameuse séquence de Hubble, et l’évolution systématique des galaxies. Cette analyse montre pour la première fois que la trajectoire des galaxies à travers la plaine verte, la zone de transition à travers laquelle les galaxies évoluent de la formation de nombreuses nouvelles étoiles à un état quiescent, est étroitement liée aux types morphologiques, faisant de la séquence de Hubble une séquence évolutive inverse. Ces résultats sont publiés le 27 octobre 2022 dans Astronomy and Astrophysics.

En 1926, l’astronome américain Edwin Hubble publie une classification morphologique des galaxies qui regroupe les différents objets qu'il a observés en fonction de leur forme et des détails qu’ils contiennent. Un ordonnancement est choisi et constitue une séquence allant des galaxies elliptiques, aux lenticulaires, spirales et irrégulières (voir Figure 1). Plus tard enrichi par Gérard de Vaucouleurs et Allan Sandage, la séquence de Hubble demeure un outil de classification des galaxies de référence, encore utilisé de nos jours par les astronomes. A l’époque, les astronomes s'étaient demandé si cette séquence de types reflétait le stade évolutif des galaxies. A la fin du siècle, les simulations numériques montrèrent que les premières galaxies le long de la séquence, les elliptiques, pouvaient être le résultat des fusions de galaxies spirales, plus avancées sur la séquence (voir Figure 2, panneau de gauche). Une telle fusion entre Andromède et la Voie Lactée est prévue, elle a été récemment modélisée (« Xenakis, regards croisés sur la galaxie d’Andromède »).

Figure 1 : La séquence de Hubble-de Vaucouleurs illustrée par les galaxies EFIGI Figure 1: La séquence de Hubble-de Vaucouleurs illustrée par les galaxies EFIGI. Elle commence à gauche avec les galaxies elliptiques (E). Le bras inférieur contient d’abord les galaxies lenticulaires (S0), avec un bulbe et un disque, mais pas de bras spiraux. Ensuite, les galaxies spirales ont un bulbe de proéminence décroissante, un disque et des bras spiraux plus lâchement enroulés au fur et à mesure que l’on se déplace vers la droite de la séquence, des types Sa à Sm. Le bras supérieur présente les mêmes types que le bras inférieur, mais avec une barre en travers du bulbe. Les galaxies irrégulières (Im) terminent la séquence, sans bulbe ni bras spiraux. Ne faisant pas partie de la séquence, les galaxies naines elliptiques (dE) sont ajoutées à droite.
Crédits : Valérie de Lapparent, Sloan Digital Sky Survey, AstrOmatic.net.

Une étude récente de la morphologie des galaxies, menée dans le cadre d’une thèse à l’Institut d’Astrophysique de Paris (CNRS, Sorbonne Université), apporte aujourd’hui une réponse décisive. Ces travaux établissent que la séquence de Hubble est une séquence inversée de l’évolution des galaxies. Pour arriver à ce résultat, les astrophysiciens ont utilisé le catalogue EFIGI (« Extraction de Formes Idéalisées de Galaxies en Imagerie ») de 4458 galaxies proches, dont la classification visuelle, coordonnée par des astronomes de l’IAP fut publiée en 2011. Cette classification utilise les images numériques du relevé Sloan Digital Sky Survey (SDSS) et bénéficie de la richesse de détails qu’elles fournissent pour les galaxies proches. La nouvelle analyse exploite par ailleurs le nouveau logiciel SourceXtractor++, développé pour le télescope spatial Euclid (prévu pour un lancement en 2023), et qui permet de mesurer avec fiabilité et précision la répartition de la lumière à l’intérieur de chaque galaxie. Ces mesures dans le domaine optique furent complémentées par des données obtenues dans l’ultraviolet par le télescope spatial Galaxy Evolution Explorer (GALEX), afin de calculer les couleurs des galaxies, et par la même, d’évaluer à quel rythme elles forment des étoiles. Enfin, le logiciel Z-PEG basé sur les scénarios théoriques d’évolution des galaxies PÉGASE.2, tous développés à l’IAP, ont été utilisé pour estimer la masse de chaque galaxie.

Figure 2 - panneau de gauche : NGC5985 et NGC5982 dans la constellation du Dragon Figure 2 - panneau de droite : Modélisations bulbe et disque de trois galaxies EFIGI

Figure 2 - Panneau de gauche : La galaxie spirale NGC5985 (à gauche) et la galaxie elliptique NGC5982 (à droite) dans la constellation du Dragon, illustrant la transformation morphologique majeure lorsque deux galaxies spirales fusionnent et deviennent une galaxie elliptique. Une telle fusion est prévue entre Andromède et la Voie Lactée (« Xenakis, regards croisés sur la galaxie d’Andromède »).
Panneau de droite : Modélisations bulbe et disque de trois galaxies EFIGI (à gauche), illustrées (de gauche à droite) par le modèle de bulbe seul, le modèle de disque seul, la somme des deux modèles précédents, et l’image résiduelle (soustraction entre l’image des données à gauche, et la somme des deux modèles), montrant les bras spiraux et les barres centrales, qui ne sont pas modélisés.
Crédits: Sloan Digital Sky Survey, AstrOmatic.net.

Des études de grands échantillons de galaxies du SDSS avaient montré une distribution bimodale des couleurs des galaxies, séparant les galaxies formant de nouvelles étoiles, rassemblées dans le « Nuage Bleu », de celles quiescentes, qui ne forment aucune ou très peu de nouvelles étoiles, regroupés dans la « Séquence Rouge » (voir Figure 3). Le point fort de la nouvelle étude est de montrer que les types de Hubble diffèrent continûment en couleur et en masse le long de cette distribution bimodale. Cet effet résulte de la croissance de la partie centrale des galaxies appelée bulbe, et du changement de couleur de leur partie externe en forme de disque, dans laquelle se forment les nouvelles étoiles. Ces variations des propriétés des bulbes et des disques sont mesurées avec précision en les modélisant par des formes simples (voir Figure 2, panneau de droite).

Figure 3 : Répartition en couleur et masse d'étoiles des galaxies EFIGI Figure 3: Répartition en couleur et masse d’étoiles des galaxies EFIGI. Chaque point montre une galaxie et son type morphologique, ainsi que son emplacement au sein de la Séquence Rouge, la Plaine Verte et le Nuage Bleu. On peut voir le changement continu de type morphologique depuis la pointe du Nuage Bleu, et le long de celui-ci, à travers la Plaine Verte, et jusqu'à la Séquence Rouge. Lors des fusions, qui produisent des galaxies de plus en plus massives (de gauche à droite), ou lorsqu’elles forment moins de nouvelles étoiles (de bas en haut), le type de Hubble devient généralement plus précoce (vers le haut dans la liste de droite; vers la gauche dans la Figure 1). Les galaxies compactes elliptiques (cE) et diffuses géantes (cD) sont des types rares.
Crédits : Louis Quilley, Valérie de Lapparent, Sloan Digital Sky Survey, AstrOmatic.net.

La Figure 3 montre que les galaxies les moins massives et formant de nouvelles étoiles de façon intensive sont les irrégulières, dont font partie les nuages de Magellan. Ces galaxies sont les plus bleues que l’on connaisse, à cause des nombreuses étoiles chaudes nouvellement formées qu’elles contiennent. L’étude apporte des preuves qu’elles se transforment par fusions successives en galaxies spirales de plus en plus massives, au centre desquelles se forme un bulbe. En effet, les galaxies spirales ont des bulbes bien formés et de couleur plutôt rouge due aux étoiles majoritairement anciennes qu’ils contiennent, tandis que de nombreuses étoiles se forment dans leurs disques, d’où la couleur bleue de ces derniers. Ces objets constituent le Nuage Bleu des galaxies formant de nouvelles étoiles dans la distribution bimodale. C'est dans région que se trouvent notre galaxie la Voie Lactée (la galaxie à l’intérieur de laquelle se trouvent le Soleil et la Terre) ainsi que sa voisine la Galaxie d’Andromède.

En outre, cette étude a permis d’étudier en détail la zone de transition dans la distribution bimodale, c'est-à-dire entre le Nuage Bleu et la Séquence Rouge. Cette zone fut initialement appelée « Vallée Verte », mais elle rebaptisée ici « Plaine Verte », car elle s'étale sur une large plage de couleurs entre le bleu et le rouge (couleur entre 3.7 et 5.7 dans la Figure 3). Les galaxies spirales les plus massives traversent traversent la Vallée Verte alors que leur bulbe continue d’y croître, tandis que les disques forment de moins en moins d’étoiles et rougissent, car les étoiles anciennes y deviennent dominantes par rapport aux étoiles jeunes. L’évolution des galaxies à travers la Plaine Verte conduit aux galaxies lenticulaires, qui ne forment que peu ou pas de nouvelles étoiles dans leurs disques et sont aussi massives que les spirales les plus massives (mais avec des bulbes encore plus importants). Cela conduit également aux galaxies elliptiques, parmi lesquelles se trouvent les galaxies les plus massives qui soient. La formation de ces dernières se fait donc par fusions successives soit de galaxies spirales massives, soit de lenticulaires, soit d’autres elliptiques (voir Figure 3).

Figure 4 : Répartition en couleur et masse d'étoiles des types morphologiques de galaxies Figure 4: Répartition en couleur et masse d’étoiles couleur des types morphologiques de galaxies, qui évoluent principalement de gauche à droite et de bas en haut : depuis les irrégulières (Im), en passant par les spirales (Sd, Sc, Sb, Sa), jusqu'aux lenticulaires (S0) et elliptiques (E). Au fil du temps, l’augmentation de la masse (de gauche à droite) résultant des fusions, ainsi que la diminution de la formation de nouvelles étoiles (de bas en haut), s'accompagnent d’une accumulation des étoiles dans le centre des galaxies. La Voie Lactée, notre galaxie, est de type intermédiaire entre Sb et Sc, et sa galaxie voisine Andromède est de type Sb. Crédits : Louis Quilley, Valérie de Lapparent, Sloan Digital Sky Survey, AstrOmatic.net.

Cette analyse montre par conséquent pour la première fois que l’ensemble de la séquence de Hubble est une séquence évolutive inversée : les galaxies évoluent depuis les irrégulières en spirales, pour aboutir à des galaxies lenticulaires et elliptiques (voir Figure 4). Une galaxie ne peut parcourir la séquence qu'à l’envers, mais sans forcément passer par tous les types qu'elle contient (une quinzaine). Les fusions de galaxies jouent un rôle majeur dans ce scénario, en expliquant l’énorme augmentation de masse - d’un facteur 10 000 - entre les irrégulières et les elliptiques, ainsi que la transformation de leurs morphologies, et notamment l’accumulation d’étoiles au centre des galaxies spirales et lenticulaires.

Les transformations de couleur et de morphologie sont les plus intenses à des masses de galaxies de l’ordre de 100 milliards de masses du soleil, lorsque les galaxies traversent la Plaine Verte. Mais ces changements ne peuvent s'effectuer conjointement que sur de longues échelles de temps astronomiques, de l’ordre du milliard d’années ou plus, probablement sous l’effet de fusions avec des galaxies moins massives. Ce résultat écarte donc les modèles d’arrêt de la formation d’étoiles sur des temps courts (de l’ordre de la centaine de millions d’années) comme c'est le cas pour la rétroaction des trous noirs supermassifs sur leurs galaxies hôtes.

Les causes de la diminution de la formation d’étoiles demeurent l’une des grandes questions de l’évolution des galaxies : ces galaxies forment-elles moins d’étoiles car les apports en gaz intergalactique se réduisent, ou parce que la transformation du gaz en étoiles est empêchée ? Des éléments de réponse seront peut-être apportés par de nouvelles analyses des galaxies au temps présent, ces nouveaux résultats ayant démontré comment leurs propriétés peuvent fournir des informations cruciales sur la façon dont les types morphologiques se sont formés au cours du temps cosmique. Ces scénarios devront être confrontés avec les relevés très profonds des galaxies du passé, obtenus avec le télescope spatial James Webb (JWST), et la mission spatiale Euclid, afin d’obtenir une fresque historique cohérente. Concernant le futur de l’Univers, la nouvelle étude indique que toutes les galaxies seront amenées à devenir des elliptiques massives après des fusions successives, et la formation d’étoiles dans l’Univers poursuivra inexorablement son déclin entamé il y a dix milliards d’années.

Liens

puce  Article (en anglais) dans Astronomy and Astrophysics: L. Quilley, V. de Lapparent, 2022, « Aging of galaxies along the morphological sequence, marked by bulge growth and disk quenching » (Version publique)

puce  Actualité de l’INSU/CNRS, résultat scientifique dans la thématique « Univers », le 27 octobre 2022 : « Les multiples visages des galaxies actuelles : leurs morphologies racontent leur évolution »

puce  Actualité de Sorbonne Université, thématique « recherche » de la faculté des Sciences et Ingénierie, le 31 octobre 2022 : « Les multiples visages des galaxies actuelles : leurs morphologies racontent leur évolution »

puce  Podcast de France Culture dans « Le Journal des Sciences », l’actualité des sciences et de la recherche, le 7 novembre 2022 : « Les morphologies des galaxies racontent leur évolution »

Rédaction et contact

Mise en page et iconographie : Jean Mouette, Valérie de Lapparent

Octobre 2022

Institut d’Astrophysique de Paris - 98 bis boulevard Arago - 75014 Paris