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LA COMPOSITION DU GAZ DANS LA VOIE LACTÉE N’EST PAS HOMOGÈNE

Des astronomes de l’Université de Genève (Suisse), de l’observatoire de l’Université de Princeton (États-Unis d’Amérique) et de l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP) ont étudié la composition du gaz de notre galaxie et démontrent que, contrairement aux modèles établis jusqu’à présent, cette composition varie d’un endroit à l'autre. Les modèles de l'évolution de la Voie Lactée devront par conséquent être révisés. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature.

Les galaxies, ces immenses systèmes visibles par milliards dans le ciel profond, se forment par condensation et transformation du gaz présent dans le milieu intergalactique (entre les galaxies). Cela conduit à la formation des centaines de milliards d’étoiles qui composent chaque galaxie. Le gaz qui les alimentent est « vierge », c’est-à-dire composé d’hydrogène et d’hélium en même proportion que l’Univers après sa formation. En parallèle, l’hydrogène et l’hélium des étoiles fusionnent pour former par réaction nucléaire d’autres éléments plus lourds, collectivement appelés « métaux » en astronomie. Lorsqu’une étoile arrivée en fin d’évolution explose sous la forme d'une supernova, elle expulse les métaux qu’elle a produits comme le fer, le zinc, le carbone et le silicium, enrichissant de métaux le gaz de la galaxie. Ces éléments lourds peuvent ensuite se condenser sous la forme de poussières, notamment dans les zones plus froides et plus denses de la galaxie. Lorsque la Voie Lactée s’est formée il y a plus de 10 milliards d’années, elle ne contenait donc pas de métaux. Depuis, des générations successives d’étoiles ont progressivement enrichi le gaz de notre galaxie avec les métaux qu'elles ont produits. Lorsque la composition de ce gaz atteint celle du Soleil, les astronomes parlent de métallicité solaire.

Afin de comprendre la formation et l’évolution de la Voie Lactée, les astronomes étudient par conséquent les propriétés du gaz et de ses métaux. Pour cela, les astronomes distinguent trois composants différents : le gaz initial provenant de l’extérieur de notre galaxie, le gaz entre les étoiles à l’intérieur de la galaxie (enrichi d’éléments chimiques), et les poussières créées par la condensation de métaux présents dans ces gaz. Jusqu’à présent, les modèles théoriques faisaient l’hypothèse que ces différents composants avaient la même composition partout dans notre galaxie, et que cette composition était égale à la métallicité solaire, avec une légère augmentation de la métallicité au centre de la galaxie, là où la densité d’étoiles est plus grande.

Une équipe d’astronomes de l’Université de Genève (Suisse), de l’observatoire de l’Université de Princeton (États-Unis d’Amérique), et de l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP) ont démontré récemment que la composition de ce gaz n’est pas aussi homogène que ce que pensaient les astronomes. Cette composition peut varier d’un facteur dix d’un endroit à l’autre de la galaxie, avec une moyenne d’environ la moitié de la métallicité solaire.

Pour cela, les astronomes ont observé en détail les 25 lignes de visée dans la direction de 25 étoiles brillantes de la Voie Lactée. Ces étoiles sont toutes relativement proches du soleil : à une distance inférieure à 10 000 années-lumière, soit environ un dixième du diamètre de la galaxie. Ces observations furent effectuées à l’aide du spectroscope ultraviolet Space Telescope Imaging Spectrograph (STIS) à bord du télescope spatial Hubble (Hubble Space Telescope, HST), et du spectroscope à haute resolution Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph (UVES) au Very Large Telescope (VLT) de l’Observatoire Européen Austral (ESO). Les observations couvrent ainsi toute la gamme de longueurs d’onde de 120 à 800 nanomètres, de l’ultraviolet jusqu’au visible, nécessaire pour observer les raies d’absorption des divers éléments chimiques, qui se produisent à des longueurs d’ondes très différentes dans cette gamme.

Un spectrographe très sensible à bord du télescope spatial de Hubble a été utilisé pour obtenir des observations détaillées de 25 étoiles brillantes proches. Figure 1 : Un spectrographe très sensible à bord du télescope spatial de Hubble a été utilisé pour obtenir des observations détaillées de 25 étoiles brillantes proches. Les spectres obtenus permettent aux astronomes d’identifier et de quantifier la quantité de métaux présents dans le gaz (nuage bleu) entre l'étoile et le télescope, grâce aux raies d’absorption étroites provoquées par chaque métal (crédit : J.-K. Krogager / ESA image archive).

La spectroscopie permet de disperser la lumière des étoiles, comme à travers un prisme. Cela donne pour chaque étoile l’équivalent d’un « arc-en-ciel » (appelé spectre) sur les détecteurs des instruments. Dans cette lumière décomposée, les astronomes s’intéressent particulièrement aux raies d’absorption causées par le gaz situé entre l’étoile et le télescope. Les métaux qui composent ce gaz absorbent une toute petite partie de la lumière des étoiles de manière caractéristique, sous la forme de raies d’absorption observables dans les spectres à des longueurs d’ondes spécifiques à chaque métal (Figure 1). Ces raies d’absorption permettent aux astronomes d’identifier les métaux et de mesurer leurs quantités relatives sur la ligne de visée de chaque étoile observée. Malheureusement, les poussières ne peuvent pas être comptabilisées dans ces observations, alors même qu’elles contiennent des métaux : les poussières ne produisent pas de raies d’absorption dans ces spectres et ne peuvent pas être détectées directement.

Afin de mesurer la quantité de métaux se trouvant dans les poussières, l’équipe dirigée par Annalisa De Cia (Université de Genève) a développé une nouvelle méthode, dans laquelle est prise en compte la composition totale du gaz et de la poussière, en mesurant les raies d’absorption de nombreux éléments différents comme le fer, le zinc, le titane, le silicium et l’oxygène. Ces éléments ne se condensent pas dans les poussières de la même façon. Certains sont « volatiles » comme l’oxygène et se retrouvent principalement dans le gaz, d’autres comme le fer se retrouvent principalement dans les poussières. D’autres, enfin, comme le silicium jouent un role intermédiaire et se retrouvent en proportions non negligeables à la fois dans le gaz et dans les poussières. En utilisant ces différences connues sur les propriétés des différents éléments chimiques, il est possible de calculer la quantité de métaux présents dans la poussière, puis de l’ajouter à celle des métaux observés directement dans le gaz, afin d’obtenir la quantité totale pour chaque élément.

Figure 2 Figure 2 : Vue d’artiste des nuages et des courants de gaz cosmique vierge (magenta) qui sont accrétés sur la Voie Lactée durant son évolution. Ce gaz ne se mélange pas efficacement dans le disque galactique, comme cela est illustré pour le voisinage solaire (représenté dans le zoom avant) (crédit : M. A. Garlick).

Grâce à cette nouvelle méthode, les astronomes ont constaté que non seulement l’environnement autour du Soleil n’est pas homogène, mais que certaines zones étudiées n’atteignent que 17% de la métallicité solaire, alors que d’autres sont à la métallicité solaire. Les astronomes soulignent néanmoins la prudence nécessaire vis-à-vis de leur méthode car des variations de densité de gaz et de poussières le long de la ligne de visée vers chaque étoile peuvent altérer les mesures (tout en montrant que ces variations ne peuvent pas être significatives pour la majorité des étoiles étudiées).

Ce résultat est étonnant si l’on s’en tient aux mesures faites dans le gaz. Toutefois, une lecture critique des publications existantes montre que des variations de l’ordre d’un facteur trois avaient déjà été observées dans le gaz. Une explication simple évoquée par différentes équipes serait que la galaxie accumule du gaz pauvre en métaux provenant du milieu intergalactique environnant, et que ce gaz n’a pas le temps d’être mélangé éfficacement au reste du gaz, malgré la rotation de la galaxie. Ce gaz pauvre en métaux pourrait entrer dans la galaxie sous la forme de nuages à grande vitesse, que l’on observe dans le halo de notre galaxie.

Toutefois ces résultats ont été obtenus sur un petit échantillon d’étoiles et dans une petite région de notre galaxie. Ils doivent être confirmés par des échantillons plus grands et couvrant d’autres régions de la Voie Lactée. Si ces résultats étaient confirmés, ils pourraient jouer un rôle primordial dans la conception des modèles théoriques de la formation et de l’évolution des galaxies en général - pas seulement la Voie Lactée. Il faudrait ainsi affiner les simulations numériques, en augmentant la résolution spatiale, afin de pouvoir prendre en compte les variations de métallicité en fonction de la localisation au sein de la Voie Lactée. Comme cela exigerait des moyens informatiques plus importants, il faudrait réviser complètement notre façon d’utiliser ces simulations, si l’on ne veut pas augmenter de façon déraisonable le bilan carbone de l’IAP, et des autres instituts de recherche.


Liens

puce Article (en anglais) de Nature : De Cia et al., 2021, « Large metallicity variations in the Galactic interstellar medium » https://www.nature.com/articles/s41586-021-03780-0 (Version publique)

Rédaction et contacts

  • Patrick Petitjean
    Institut d’astrophysique de Paris, CNRS, Sorbonne Université
    patrick.petitjean [à] iap [point] fr
  • Jens-Kristian Krogager
    Département d’astronomie, Université de Genève
    Jens-Kristian.Krogager [à] unige [point] ch

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Octobre 2021

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