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MICROLENTILLES : PREMIÈRE EXOPLANÈTE CONFIRMÉE PAR HST ET KECK-II

Des observations obtenues avec le télescope Keck-II et le télescope spatial Hubble, par une collaboration comprenant une chercheuse et un chercheur de l’IAP, ont permis de confirmer l’existence d’une planète de type Uranus détectée par effet de microlentille. Ce résultat a donné lieu à deux publications, le 30 juillet 2015 dans « The Astrophysical Journal ».

Le télescope Keck à Hawaii (Mauna Kea, « W.M. Keck Observatory ») et le télescope spatial Hubble (NASA) ont confirmé indépendamment l’existence d’une planète orbitant à 600 millions de km de son étoile hôte (3.4 unités astronomiques), soit légèrement moins que la distance de Jupiter au Soleil. Il s’agit d’une planète de type Uranus, de 13.2 masses terrestres, autour d’une étoile de type K5 de 0.65 masse solaire. C’est probablement un exemple de planète qui a d’abord formé un cœur de glaces et de roches tel que Jupiter, jusqu’une masse de 10 masses terrestres, mais dont la croissance n’a pas été assez rapide pour accumuler une masse significative d’hydrogène et d’hélium. Il en résulte une planète vingt fois moins massive que Jupiter. Ces objets sont prédits comme étant plus communs que les Jupiters, particulièrement autour d’étoiles moins massives que le Soleil.

La planète, baptisée OGLE-2005-BLG-169Lb, a été découverte par la méthode des microlentilles gravitationnelles, et son système se situe à une distance de 4000 parsec (13000 années-lumière) dans le disque galactique. Le système se trouve dans la constellation du Sagittaire. C’est la première fois qu’une signature planétaire par un phénomène de microlentilles est confirmée bien après l’évènement, observé en 2005.

La technique de détection de planètes par effet de microlentilles explore les planètes froides situées à quelques unités astronomiques de leur étoile, à proximité de leur lieu de formation. En effet, la théorie de formation par accrétion de cœur prédit que les planètes massives se formeraient au-delà de la limite des glaces (distance par rapport à l’étoile à laquelle l’eau se trouve sous forme de glace), et qu’elles se rapprocheraient ensuite de l’étoile (migration). Un phénomène de microlentille est rare et se produit lorsqu’une étoile de premier plan (lentille) s’aligne avec une étoile d’arrière-plan (source) avec une précision de l’ordre du millième de seconde d’arc (milliarsec ou mas). La source est en général dans le bulbe de la Voir Lactée (à une distance de 8000 parsec) et la lentille dans le disque galactique, souvent à mi-chemin entre notre système solaire et le centre galactique. Le champ gravitationnel de la lentille dévie les rayons lumineux de la source d’arrière-plan et les focalise vers l’observateur, provoquant ainsi une amplification du flux de la source. Si la lentille possède des compagnons planétaires, ceux-ci peuvent causer des déviations supplémentaires dont la forme et la durée révèlent l’existence de ces petits corps. Ainsi, bien que ce soit en observant les variations du flux de la source, c’est autour de la lentille que les astronomes recherchent des compagnons planétaires.

OGLE-2005-BLG-169Lb a été découverte en 2005 par les collaborations Optical Gravitational Lensing Experiment (OGLE), Microlensing Follow-Up Network (MicroFUN), et Microlensing Observations in Astrophysics (MOA), dans le cadre de la campagne annuelle de recherche d’exoplanètes dans la direction du bulbe de la Voie Lactée. Ces recherches sont effectuées par l’observation continue du centre galactique pendant sept mois, de mars à octobre, depuis l’hémisphère sud (au Chili, en Afrique du Sud et en Nouvelle Zélande). Les observations sont reparties sur 85 champs de 1.4 degrés carrés chacun, représentant une aire totale de ~120 degrés carrés du ciel. La cadence des observations varie selon le champ et elle est plus élevée près du centre galactique, là où la densité d’étoiles est plus importante : elle s’échelonne d’une observation tous les quarts d’heure à une observation par nuit. 330 millions d’étoiles sont donc suivies quotidiennement, afin d’observer des centaines de phénomènes de microlentilles simultanément. En effet, la probabilité d’occurrence de ce phénomène est d’une chance sur un million d’étoiles observées (plus d’infos sur http://ogle.astrouw.edu.pl/sky/ogle4-BLG/).

L’analyse menée en 2005, lors de la découverte de l’évènement OGLE-2005-BLG-169Lb, n’a cependant pas permis de caractériser précisément la masse de l’étoile hôte, limitant ainsi l’identification de la planète. Néanmoins, la modélisation de la perturbation causée par la planète (qui se manifeste dans la courbe de lumière de l’événement de microlentille) prédit la vitesse avec laquelle la lentille (c’est-à-dire la planète et son étoile) se déplacent par rapport à la source d’arrière-plan. C’est cette valeur qui a été confirmée en mesurant la séparation angulaire des deux étoiles à l’aide d’observations à haute résolution angulaire. À l’origine, une partie de l’anomalie d’OGLE-2005-BLG-169 n’était pas couverte par les données observationnelles, et autorisait deux solutions, avec deux modèles planétaires et deux valeurs et orientations de mouvements propres de la lentille et de la source différents. Les observations ultérieures avec le télescope Keck-II ont permis de discriminer entre ces modèles.

Ce sont les observations menées par Virginie Batista et Jean-Philippe Beaulieu de l’IAP avec le télescope Keck-II, et celles par David Bennett (Goddard, Washington DC, États-Unis d’Amérique) avec le télescope spatial Hubble, qui ont pu confirmer pour la première fois la signature d’une planète découverte par effet de microlentille, ainsi que statuer sur la nature de cette planète. Tout d'abord, la résolution des images obtenues avec les deux télescopes permet d’isoler le couple lentille-source des autres étoiles du champ. Bien que les observations par Hubble aient été faites 6.5 années après l’évènement de microlentille, la source et la lentille étaient toujours si proches qu’elles n’étaient pas complètement résolues et formaient une source lumineuse au profil allongé. Les astronomes ont cependant pu isoler les flux de chacune des deux étoiles grâce à ce profil allongé. Combinée avec les informations issues de la courbe de lumière pendant l’évènement de microlentille, la luminosité de la lentille a révélé la masse et la distance orbitale de la planète, ainsi que la distance qui nous sépare de ce système. Les deux étoiles ont été observées dans différents filtres avec la Wide Field Camera 3 de Hubble (WCF3), apportant ainsi des confirmations indépendantes de la masse et de la distance du système.

Les observations supplémentaires effectuées avec la Near Infrared Camera 2 (NIRC2) du télescope Keck-II, plus de 8 ans après l’évènement de microlentille, ont fourni une mesure précise du mouvement relatif entre la source et la lentille. La figure 1 montre l’amélioration significative de la résolution des images entre un télescope de 4m classique (VISTA http://www.eso.org/public/france/teles-instr/surveytelescopes/vista/, à l’Observatoire Européen Austral (http://www.eso.org/) et le télescope Keck-II de 10m pourvu d’optique adaptative. C’est la première fois que la source et la lentille sont résolues spatialement après un évènement de microlentille impliquant une planète. En effet, il faut en général attendre une dizaine d’années pour que la source et la lentille puissent être clairement distinguées (séparation de ~50-70 mas), car à la distance de ces objets (plusieurs kiloparsecs), leurs mouvements propres, c’est-à-dire leurs déplacements au sein de la Voie Lactée, se traduisent par des mouvements projetés sur le ciel qui sont très lents. Pour OGLE-2005-BLG-169, le mouvement relatif de la source par rapport à la lentille est de 7.44 mas par an.



Figure 1: La première image à gauche a été obtenue par le télescope VISTA de 4m de l'ESO. Cette séquence d'images montre l'amélioration de la résolution quand le système d'optique adaptative du télescope KECK-II est mis en route. La dernière image à droite montre la source et la lentille résolues : elles ne sont séparées que par 60 milliarcsecs. Il s'agit de la première microlentille planétaire pour laquelle une mesure d'une telle précision a été possible.

Les premières détections planétaires en microlentilles ayant été faites en 2005, nous entrons, dix années après, dans une nouvelle ère de caractérisation et de raffinement des systèmes planétaires détectés, grâce à la mesure a posteriori du mouvement relatif des étoiles impliquées. Si par le passé la méthode des microlentilles avaient pu décevoir par la grande incertitude associée aux masses et distances des systèmes détectés, cette technique a radicalement progressé ces dix dernières années et atteint aujourd’hui une précision cinq à dix fois meilleure : l’incertitude sur la masse des planètes est désormais inférieure à 10%. En effet, si auparavant le rapport de masse entre la planète et son étoile et leur distance projetée en unités de rayon d’Einstein (unité propre aux microlentilles dont la transposition en unités astronomiques dépend de la distance de l’étoile lentille) étaient connus avec une grande précision, le manque d’informations sur la nature de l’étoile hôte (la lentille) introduisait des incertitudes sur les caractéristiques physiques du système (masses absolues de l’étoile et la planète et la distance les séparant).

Aujourd’hui, plusieurs outils sont utilisés pour remédier à ce problème. Les chercheurs et chercheuses étudiant les microlentilles ont tout d’abord mis en place des moyens efficaces pour mesurer des effets de parallaxe au cours d’un évènement de microlentilles, que ce soit en multipliant les télescopes au sol, ou en combinant ces observations avec des données obtenues par un télescope spatial (Spitzer et Kepler-2 à ce jour). Ceci permet d’observer le phénomène sous différents angles de vue et d’estimer les distances par les effets de perspectives entre la source et la lentille. Par ailleurs, grâce à des observations complémentaires à haute résolution angulaire, comme présenté ici, il est prévu de réaliser une caractérisation systématique de l’étoile hôte (masse, luminosité et mouvement relatif à la source d’arrière-plan) pour chaque planète détectée lors des campagnes d’observation en microlentilles réalisées par OGLE, MOA, KMTNet[1], RoboNet[2], microFUN et PLANET[3]. Ces avancées seront utiles pour la préparation des missions spatiales consacrées en partie à la recherche d’exoplanètes par effets de microlentilles, comme la mission américaine WFIRST dont le lancement est prévu en 2026, ou encore de la mission éuropéenne EUCLID, qui sera lancée en 2020.

Ce travail a été financé par le « Domaine d’Intérêt Majeur Astrophysique et Conditions d’Apparition de la Vie » de la Région Île-de-France (DIM ACAV), le Programme National de Planétologie (PNP), le programme « Promouvoir l’excellence de la recherche à Sorbonne Universités » (PERSU), et la NASA.

Notes

[1] Korean Microlensing Telescope Network.
[2] Robotic Network, Las Cumbres Observatory.
[3] Probing Lensing Anomalies Network, Paris IAP.

Liens

puce Article (en anglais) dans Astrophysical Journal : Batista, Beaulieu, Bennett, Gould, Marquette, Fukui, Bhattacharya, 2015, « Confirmation of the OGLE-2005-BLG-169 planet signature and its characteristics with lens–source proper motion detection »
puce Article (en anglais) dans Astrophysical Journal : Bennett, Bhattacharya, Anderson, Bond, Anderson, Barry, Batista, Beaulieu et al., 2015, « Confirmation of the Planetary Microlensing Signal and Star and Planet Mass Determinations for Event OGLE-2005-BLG-169 »

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Mise en page : Jean Mouette

Décembre 2015

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