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Découverte d'un flux électromagnétique permanent entre Jupiter et ses satellites galiléens

Des lueurs ultraviolettes persistantes ont été détectées aux pôles Nord et Sud de Jupiter. Elles correspondent aux pieds des tubes de flux magnétique émanant de chacun des satellites Io, Ganymède, et Europe. Des courants électriques circulent le long des lignes du champ magnétique de Jupiter, en faisant des allers et retours entre ces satellites et l'ionosphère de la planète. Comme pour une lampe au néon, un véritable circuit électrique relie chacun de ces corps à la planète mère, le point de contact à la surface jouant le rôle du filament. Un tel phénomène inexistant sur Terre, est pour le moment spécifique à Jupiter.
 

L'environnement planétaire

La plupart des planètes possèdent leur propre champ magnétique qui repousse le vent solaire, en créant une cavité de forme cométaire, appelée la magnétosphère. Un bouclier électromagnétique s'établit, protégeant ainsi la planète de l'impact des particules chargées externes, d'origine solaire ou interstellaire. Néanmoins, des effets de friction y induisent une circulation de plasma, processus dynamique qui donne naissance aux émissions radio planétaires et aux aurores dans les zones polaires. Une façon très efficace pour étudier le couplage entre l'atmosphère et la magnétosphère d'une planète, consiste donc à observer les émissions aurorales car elles sont à la fois le reflet de la nature et de l'état des particules magnétosphériques et celui de l'atmosphère bombardée par ces particules.

L'environnement de Jupiter

Jupiter possède la magnétosphère la plus étendue du système solaire. Si elle était visible dans le ciel, sa taille apparente dépasserait celle du Soleil ou de la Lune ! C'est aussi la plus puissante des magnétosphères, ses émissions aurorales et radio dépassant en intensité celles de toutes les autres planètes réunies. Son énergie provient non seulement de sa taille, mais aussi de sa rotation rapide (période de rotation de 10h), et de l'apport continu de plasma, déversé par les volcans de son satellite le plus proche Io. Un des aspects les plus intrigant de la magnétosphère de Jupiter est la modulation de ses émissions radio sur sa fréquence de rotation, un comportement similaire aux pulsars. C'est donc un véritable laboratoire qui nous permet de mieux étudier des processus physiques divers, avant de les appliquer à l'étude aussi bien de la magnétosphère terrestre, que des objets astrophysiques lointains comme les pulsars.

Les observations

La traque des taches lumineuses laissées par les pieds des tubes de flux magnétiques des satellites planétaires a débuté il y a plusieurs années. La première détection en infra-rouge, attribuée au satellite Io, a été faite en 1993. C'est grâce à l'avènement du télescope spatial Hubble, que plusieurs observations ont pu être effectuées dans l'ultraviolet, confirmant le résultat obtenu pour Io, et révélant deux nouvelles détections, respectivement pour Europe et Ganymède. Il a fallu néanmoins la moisson d'images obtenues au moment du passage de la sonde Cassini tout près de Jupiter en décembre 2001, pour réussir à couvrir une rotation complète des spots lumineux, observés au pied des tubes de flux de chacun des satellites. La relation directe entre la rotation de chacun des spots avec celle de son satellite a ainsi pu être clairement établie. Malgré la nature très différente de chacun des satellites, volcanique pour Io, océanique pour Europe, et magnétique pour Ganymède, ces observations établissent ainsi le caractère général de l'interaction électromagnétique entre les satellites et leur planète parente via sa magnétosphère.

Pour les astrophysiciens, ces détections représentent un trésor d'informations. La position respective des spots par rapport aux émissions aurorales classiques permet déjà d'en situer l'origine au-delà de l'orbite des satellites. De plus, en affinant la corrélation de la position de chaque satellite, à la position du spot lumineux observé sur le disque planétaire, on pourra tester la nature dipolaire ou non du champ magnétique de la planète. L'ensemble de ces informations permettra d'accéder à une meilleure connaissance du champ magnétique de Jupiter, ainsi que des interactions électromagnétiques, encore inconnues, entre les régions éloignées de la magnétosphère et la planète elle-même.

En plus de l'aspect spectaculaire de la lueur émise en permanence à la surface de la planète, les empreintes laissées par les tubes de flux magnétique issus de chacun des satellites nous informent, entre autres, sur les propriétés du plasma dans la magnétosphère de Jupiter, au niveau précis de chacun des satellites. Grâce à la présence de sondes spatiales de passage ou en orbite autour de Jupiter (Cassini, Galileo), ces informations permettront enfin de relier les mesures in situ, effectuées par ces sondes, à la vue globale du système planétaire obtenue à partir de la terre (HST, VLT, etc.).

Perspectives

Lorsque l'on pense que Jupiter se trouve à cinq fois la distance terre-soleil, et qu'on voit la richesse et l'intensité de ses émissions aurorales, comment ne pas rêver aux planètes extra solaires beaucoup plus proches de leurs étoiles parentes, et des émissions aurorales extraordinaires qui devraient s'y développer ? Contrairement à Jupiter, qui est toute proche de nous, les planètes extra solaires observées sont lointaines (>2 parsecs). Toute émission issue de leurs atmosphères s'en trouve irrémédiablement affaiblie avant d'atteindre nos télescopes. Il faut à cela ajouter la difficulté majeure de séparer un signal planétaire faible mélangé avec un signal stellaire assez fort. Il faudra sans doute une nouvelle génération de télescopes et de détecteurs pour réussir de telles prouesses. Cela ne nous empêche pas néanmoins de chercher toujours la petite lueur extra solaire en scrutant des données récentes obtenues par les meilleurs instruments à bord du télescope spatial Hubble. L'étude est actuellement conduite par une équipe de chercheurs à l'IAP.

Remerciements

Ces résultats sont publiés dans le numéro du 28 février 2002 du journal anglais Nature. Ce travail de longue haleine a été possible grâce à une collaboration de plusieurs années entre plusieurs équipes internationales, dont l'Institut d'Astrophysique de Paris (L. Ben-Jaffel), l'université de Boston (J.T. Clarke), et l'université de Liège (J.C. Gérard). Il a pu aboutir grâce au soutien du CNRS, par l'octroi d'un poste de chercheur invité de trois mois à notre collègue John Clarke en 1999. Le CNES, le Programme National de Planétologie, et la société Compaq ont beaucoup contribué au soutien de ce projet. Le télescope spatial Hubble est un projet de coopération internationale entre la NASA et l'ESA.

28 février 2002

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